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[fanfic] Le revers de l'épée


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Le revers de l'épée

 

« Ah ben, mon salaud, vous avez vraiment des horaires de sagouins au palais d’justice ! La sixième heure est pas passée que t’es déjà à la terrasse ? Pas que j’m’en plaigne, remarque ! Tu sais que t’es toujours le bienvenu ! Un pichet de mon Hypsonien au thym, comme d’habitude ? »

Sans attendre la réponse de son client, Epiphanios alla tirer le vin qu’il coupa d’un peu d’eau fraîche. De retour sur le seuil, il inspira à pleins poumons l’air salin. La journée était superbe et la terrasse ombragée d’oliviers surplombait les toits blancs et le golf scintillant sous l’ardeur du soleil d’Argos. Le Foulque Redondant était l’une des tavernes les mieux situées de la cité. Epiphanios la tenait de son beau-père et, Mitra le pardonne ! n’avait jamais été aussi heureux que depuis son veuvage. La taverne sans Theodora ? L’huile et l’argent de l’huile pour ainsi dire.

Mais quelque chose dans les épaules voutées de Mnason jeta l’ombre d’une inquiétude sur sa bonne humeur.

« Ça va pas, mon vieux ? » s’enquit-il en prenant place et (chose impensable du temps de son mariage !) se servant aussi un verre.

Le visage, d’ordinaire austère, de Mnason était blême. Il aventura une main tremblante vers son propre verre qu’il vida tant bien que mal. Le patron le resservit sans mot dire. Ne jamais presser le client de parler. Respecter leur rythme. C’était pour ainsi dire dans le manuel.

« Argyros est mort, laissa finalement tomber l’autre.

- Ton patron ? Mais comment ? Il était pourtant en santé, pour son âge !

- Il a été tué. En pleine session de la cour. Comme ça, vlan ! d’un coup d’épée en pleine figure. »

Un geste un peu ample ayant failli renverser le pichet, le tavernier en répartit le reliquat dans les deux verres et le déposa prudemment au pied de sa chaise.

« Raconte-moi ça depuis le début, encouragea-t-il.

- C’était la troisième affaire de la matinée, commença le greffier. Une histoire de meurtre pour une broutille. Tu sais comme sont les hommes d’armes quand il n’y a pas de guerre pour les occuper, surtout quand ils appartiennent à des unités différentes !

- C’est bien simple, quand y a des soldats dans ma clientèle, je ferme au crépuscule. Y a bien assez de gargotes au port pour ces emmerdeurs.

- Et bien c’est justement dans un de ces établissements, mi-taverne mi-maison de passe que l’altercation a eu lieu. Un garde, un certain… attends… Milthiades, voilà ! a porté la main sur un officier de la garde royale, un dénommé Kallistrate, décoré de l’Ordre du Griffon. Ils étaient les deux ivres, apparemment, et le capitaine voulait… et bien, il voulait recourir aux services d’une putain que ce Milthiades entendait se réserver. Résultat : un coup de dague à la jugulaire, le meurtrier et la fille évanouis dans la nature. La garde a quadrillé les quais et les ruelles du quartier, rien.

- Mais il jugeait qui, ton Argyros, du coup ?

- Figure-toi que l’assassin, il avait passé la soirée à boire avec un étranger. Un barbare du Nord, un colosse bardé de cicatrice, très reconnaissable. Lui, tu penses bien qu’il n’a pas été très difficile à retrouver. Le bougre était au lupanar d’à côté, le lendemain matin. Le culot de ces gens-là ! On l’a cueilli et il a été déféré devant le juge. L’affaire était sérieuse : complicité de meurtre et complicité dans l’enlèvement d’une prostituée. Ça peut aller chercher dans les sept  ans de galère, quand Argyros n’a pas déjeuné. Il décline son identité : Conan, un Cimmérien. Un mercenaire désœuvré, tu vois le genre. On lui rappelle rapidement les faits ; il admet tout. Oui, il connaissait ce Milthiades : ils avaient passé la soirée ensemble. Oui, il l’avait aidé à quitter la ville avec sa compagne. Non, il ne dirait rien. Son excellence le juge lui réexplique les faits. Plus lentement. Il insiste sur les peines qui s’abattront sur lui s’il persiste à protéger son complice. L’autre lui répond que seuls les lâches trahissent leurs amis. Je note tout scrupuleusement, mais intérieurement, je ricane. Un ami ! Ils avaient bu ensemble trois chopes de mauvaise bière et ils étaient amis ! Sur le moment, j’ai pensé que le Cimmérien cherchait à monnayer ses renseignements. Le juge avait fait le même raisonnement et lui a proposé cinq pièces d’argent. Ça entre dans les dépenses courantes du palais de justice. L’autre a craché par terre et l’a traité d’imbécile. A la respiration sifflante du juge, toute la cour a bien compris que c’était un mauvais calcul. Violacé, Argyros s’est penché de sa tribune sur le mercenaire et le menaçant de l’index, lui a annoncé qu’il ferait quinze jours de cachot pour outrage à magistrat, et qu’il aurait ce laps de temps pour révéler la cachette du meurtrier et de sa putain, sans quoi…

- Sans quoi, quoi ?

- Sans quoi, rien. Il n’a jamais fini sa péroraison : le Barbare lui avait fendu le crâne et avait sauté par une fenêtre avant même que son corps sanglant ne soit retombé sur mon pupitre.

- Et que lui est-il arrivé, à ton gaillard ?

- Il a volé un cheval et s’est rendu à brides abattues sur le port où il a forcé un capitaine à appareiller. Le temps que les arbalétriers arrivent sur les quais, l’Argus, c’est le nom du bâtiment, doublait le phare. D’après la capitainerie, le timonier, un certain Tito, qui a déjà eu maille à partir avec la justice, appareillait pour le Kush.

- Et ben vous êtes pas prêts de les revoir, à mon avis. Entre les tempêtes, les pirates et, s’ils arrivent à bon port, ces diables de sauvages, les bestioles et les maladies… Bon débarras ! »

Cette perspective tragique acheva de rendre des couleurs à Mnason qui commanda un second pichet. En le déposant devant l’huissier, le tavernier lui demanda :

« Il y a juste une chose que je ne comprends pas, dans ton histoire : Ton barbare… il était entré au tribunal armé ?

- Tu penses bien que lorsque la garde l’a retrouvé, comme il les suivait de son plein gré, personne ne s’est aventuré à lui demander de remettre ses armes. Et puis, il faudrait être fou pour tirer l’épée contre un juge. Mitra ! Ces barbares ! leurs manières sont toujours parfaitement incompréhensibles ! »

Modifié par Not Quite Dead
Coquilles
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Coucou Not Quite Dead,

J'ai bien aimé cette aventure inédite de notre barbare favori. J'ai pris plaisir au déroulé de l'histoire que tu as mis en place sur ce court récit : tout à l'avancée de la lecture on s'interroge sur l'intrigue qui (je peux me tromper) a l'air toute en ramification, façon romans policiers. Sur ce début, c'est impression que ça me donne en tout cas ; ce petit coté "je veux savoir le pourquoi du comment" tu vois ? Je me doute que tu as déjà commencé à réfléchir à la suite de ces péripéties ? En tout cas je serais content d'en lire la suite ;)

Edrahil.

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Hello! Merci pour ton retour.

En fait, ce n'est pas tout à fait une aventure inédite: c'est plutôt une réécriture du début d'une nouvelle d'Howard, La reine de la Côte noire, dans laquelle Conan fait la rencontre de Bêlit. Voici l'extrait qui m'a servi de canevas pour ce récit d'un point de vue différent:

Citation

« Je suis Conan, un Cimmérien, répondit-il. J'étais venu à Argos en quête d'un emploi; les guerres se faisant rares en ce moment, je n'ai rien trouvé qui soit dans mes cordes.

- Pourquoi les gardes te poursuivent-ils? s'enquit Tito. Non pas que cela me regarde, mais je pensais que peut-être...

- Je n'ai rien à cacher, répliqua le Cimmérien. Par Crom! J'ai passé un temps considérable parmi vous autres, les gens civilisés, pourtant vos manières me sont toujours parfaitement incompréhensibles.

» Donc, la nuit dernière, dans une taverne, un capitaine de la garde royale a fait violence à la compagne d'un jeune soldat, et naturellement, ce dernier a embroché le capitaine. Mais il semble qu'il existe une satanée loi interdisant de tuer des gardes, aussi le garçon et la fille ont-ils pris la fuite. Le bruit s'étant répandu que l'on m'avait vu en leur compagnie, on m'a donc traîné aujourd'hui devant un tribunal. Un juge m'a demandé où avait fui le garçon. J'ai répondu que, comme c'était un ami, il m'était impossible de le trahir. Le juge s'est mis en colère et m'a tenu un grand discours où il était question de mon devoir envers l’État, la société, et d'autres choses auxquelles je n'ai rien compris, et m'a prié de lui dire où mon ami s'était réfugié. A ce moment, je commençait moi aussi à être furieux, car j'avais clairement expliqué ma position.

» Mais j'ai ravalé ma colère  et j'ai gardé mon calme. Le juge a repris de plus belle, braillant que j'avais fait offense à la cour et que je devais donc être jeté dans un cachot pour y moisir jusqu'à ce que je dénonce mon ami. Comprenant alors qu'ils étaient tous fous, j'ai sorti mon épée et j'ai fendu le crâne du juge en deux. Je me suis ensuite frayé un chemin jusqu'à la sortie du tribunal. Apercevant l'étalon du gouverneur attaché à proximité, j'ai sauté en selle et l'ai lancé au galop jusqu'au port où j'espérais trouver un navire prêt à appareiller pour l'étranger.

- Ma foi, déclara Tito avec vigueur, les tribunaux m'ont dépouillé trop souvent, lors de procès avec de riches marchands pour que je les porte dans mon cœur. »

 

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Ben écoute, c'est amusant parce qu'en ce moment je relis le recueil des "meilleures" nouvelles de Conan en poche chez Milady (et ce, pour la deuxième fois) et La Reine de la Côte Noire, je l'ai lue y a une dizaine/quinzaine de jours ; pourtant, même si y avait ce petit côté inconscient de "déjà-vu" dans ton récit que je ressentais un peu, je n'ai pas percuté. Comme le souligne Popoff, je voyais ça comme une variation autour de l'oeuvre d'Howard, et au vue de ma réaction où je ne réussis pas à identifier la nouvelle dont tu t'inspires alors que je l'ai lue y a peu, on peut dire que ton essai est concluant.

Edrahil.

Modifié par Edrahil
Correction nom maison d'édition du recueil
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