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Rédemption


goupil

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Je vois encore le sourire de mon amour, la blancheur de sa peau...

 

Mais c'était une autre vie, la vie d'un autre, avant que le saint homme ne vienne me chercher. Je levai alors la tête, hébété, et ressentis comme un vertige, comme si le Frère regardait à travers moi sans me voir. À ces yeux de glace j'étais une brute, un outil. Tout m'était égal, je le suivis.

 

Des heures, des jours que nous traînons nos carcasses dans ces tunnels puant la mort. L'aurais-je su quand le saint homme m'a sorti de la cage où l'échevin m'avait mis, que j'aurais fait de même. Après tout, ça ou rien...

 

J'entends encore son rire, la chanson de sa voix...

 

Je me suis réveillé en sursaut tout à l'heure, les yeux écarquillés, collant de sueur. Le temps de reprendre mon souffle, je me suis rendu compte que je serrais un petit bloc de roche entre mes doigts blanchis, comme tétanisés. Le dormeur, juste à côté. Ceci n'est pas ma main. Ceci n'est pas ma main.

 

Ils me regardent, je le sens. Alors que je scrute les ténèbres pour qu'ils puissent s'affaler un moment auprès du feu, se reposer un peu, j'en entends un qui ricane. Celui qui loue sa lame à L’Église. Le blondin que j'ai presque aplati un peu plus tôt alors qu'il dormait. Vittorio. J'entends qu'il se moque, mais on dirait qu'il parle seul. Aux yeux du Frère je suis transparent, nous le sommes tous, simples outils au service de sa cause. Cette homme n'est que foi, inébranlable. Cherche-t-il à purger ces couloirs viciés du mal impie qui y règne? Est-il à la recherche d'une âme perdue? Ou bien est-ce nous qu'il guide vers quelque enfer?

 

Je sens encore ses mains crispées sur mes avant-bras. Mes mains serrées sur son cou d'albâtre...

 

J'essuie le sang qui sèche déjà sur mon visage. Pas le leur, non. Ces choses sont faites de chairs écailleuses et de fluides ignobles. Mon sang, un peu. L'une de ces bêtes m'a balafré la gueule alors que j'écrasais le crâne d'une autre avec ma botte. Le sang de Vittorio, surtout. Comme chaque fois il s'est élancé le poignard en avant, ignorant l'avertissement du saint homme. Quand d'autres ont surgi de trous dans les parois, je ne l'avais déjà plus en vue. J'ai entendu ses bravades, ses injures, ses cris. Son dernier râle. Me voilà qui patauge dans les humeurs mêlées de ces chiens qui se sont entretués.

 

Le Frère m'a jeté un regard. Je crois qu'il me voit, après tout. Il hésite?

Il me sourit. Son visage est bien pâle.

 

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  • 6 mois après...

Le Père Frédéric était satisfait. Perché tout en haut d'un échafaudage, il contemplait d'un œil critique le travail accompli.

 

Le dernier assaut des forces démoniaques contre les défenses de la cité sainte avait laissé un trou béant dans le mur ouest, et il s'était porté volontaire pour superviser les travaux de remise en état. Il avait fait tailler pas moins de dix mille blocs de pierre alors qu'ils n'avaient plus qu'une poignée de jours devant eux pour les mettre en place, avant la prochaine vague d'attaques infernales. Plusieurs vicaires de peu de foi lui avait affirmé qu'il visait l'impossible, que son ouvrage était condamné d'avance, mais lui savait. Il croyait en son projet, et les mécréants placés sous ses ordres croyaient en lui. Inébranlable, il avait essuyé les regards inquiets des siens, et les critiques vaines des autres.

 

Finalement près des trois quarts de la section mur avaient pu être remontés. Pas si mal en si peu de temps. Suffisamment en tous cas pour contenir encore un peu les armées impies. Il ne restait plus à présent qu'à ce préparer au prochain péril, car des rumeurs couraient dans les tunnels obscurs à propos d'escouades de sarrasins s'approchant dangereusement de la Nouvelle-Jérusalem. Et plus loin encore dans les ténèbres, on entendait des murmures bien inquiétants... voooo... reeee... nuuuuuusssss

 

(modeste tribut à l'équipe couillue qui a mené ce projet... et pour la fin pas de spoilers ni de promesses, hein, c'est juste qu'avec la Frondeuse et le Djinn, Vorenus était un de mes concepts préférés d'Helldorado ^^)

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  • 1 an après...

Pardonnez-moi, mon Père, car j'ai péché.

 

Elle est bien loin, la dernière fois que j'ai été à confesse. Mon ancienne vie. J'étais jeune mariée alors, languissant de retrouver mon aimé, qui m'avait quittée enceinte pour aller renforcer les armées du Comte dans quelque sanglante dispute de voisinage. Nous avions quelques gens qui me soulageaient de la plupart des corvées, et logions pour un temps une cousine un peu simplette, qui apportait son lot de gaieté à la maisonnée.

 

Je souhaitais ardemment que mon époux fût de retour à temps pour accueillir notre enfant, il s'en fallut de peu, mais la nature est facétieuse et c'est à l'âge d'une poignée de jours que l'on put faire enfin les présentations. Las! l'homme qui revint au foyer n'était plus celui qui l'avait quitté. Tout émerveillée que j'étais à la vue de ma délicate petite fille, je ne pouvais que remarquer la fadeur et les absences de son père. Ces semaines de campagne l'avaient changé en un maître de maison tantôt morose, tantôt ombrageux, et lorsque je tentai de l'amadouer et de soulager son âme c'est froidement qu'il me repoussa. Qu'avait-il donc vu et vécu de si horrible, qu'il semblait n'avoir plus d'intérêt ni pour sa femme, ni pour son enfant? Je n'en avais aucune idée, et ne pouvais savoir, mais je l'imagine à présent. La boucherie des batailles et le désespoir des bataillons tuent la bonté dans les coeurs aussi sûrement que le ferait le cornu en personne, et ne laissent des pères et des amants que des ombres, des coquilles vides bientôt remplies d'amertume et de fiel.

 

A force de se débattre dans ses cauchemars, de se morfondre un jour et de chercher querelle le suivant, ce n'est pas mon homme qui frappa l'huis un matin triste, mais le prévôt. La boisson et la colère avaient si bien oeuvré que de mauvais coup avaient finalement été donnés, et qu'un pauvre hère y avait laissé sa misérable vie. Mon seigneur croupirait dans une geôle, et déjà des créanciers sortaient de l'ombre. L'automne était là, méchant comme jamais, et ma seule joie, mon petit bébé, maigrissait à vue d'oeil.

 

Je regrettai d'abord les rires, puis j'en vins à regretter les pleurs lorsqu'un faible souffle rauque fut tout ce qui restait à entendre. Et puis, elle était partie elle aussi. Malheur à moi, qui n'avait su lui faire donner le baptême avant les premiers frimas. Je hurlai comme une bête blessée, j'enrageais. Je quittai le manoir en courant, nus pieds, sous une pluie glacée, appelant la mort de mes voeux. J'allais par les bois des jours et des nuits durant, hébétée, mais aucun loup ni aucun ours ne voulut de moi.

Plus tard, je ne saurais dire exactement combien de temps avait passé, mes pas me menèrent aux alentours d'une foire, où à l'écart des étals un bretteur donnait démonstration de son savoir. Ma tête ne pensait plus bien, je crois, mais c'était comme si quelque chose me poussait vers lui. Aussi mal fichu que mal appris, il trouva à son goût la harpie dépenaillée que j'étais devenue. Puisqu'il était séduit, je lui exigeai des morceaux de son art en échange de mes faveurs. En vérité, ce bateleur de piètre fame se louait surtout comme sicaire, et mon apprentissage y gagnait en expertise ce qu'il avait perdu en moralité. La dague et la rapière me furent enseignés, ainsi que le stylet et les capuchons tapis dans l'ombre. La traque. L'attente.

 

Comme fait exprès, ce fut lorsque j'étais prête au combat que je l'entendis. Oh, cette voix, j'aurais pu être anéantie. Mais je portais désormais ma hargne comme une armure, et je serrai la mâchoire des nuits durant, à m'en faire craquer les dents. Loin, là en-bas. Je masquai mon visage pour dissuader les curieux, et mentis sur mon nom. Non que je craigne d'être reconnue – il ne restait plus rien de la châtelaine – mais j'avais appris que des cicatrices ou un facies hideux bien suggérés achètent la quiétude plus sûrement encore que la pointe d'une lame.

 

C'est le désespoir, mon Père, la colère et le mensonge qui m'ont fait rejoindre votre troupe de mécréants au service de Dieu. Ces couloirs maudits cachent une vérité qu'il me faudra bien connaître avant que j'accepte de rendre gorge. J'ai péché, certes, mais dites-moi une chose : ma fille, vouée aux limbes par votre Eglise, et dont je ne connais que les gazoullis de nourrisson. Comment Diable se fait-il qu'à présent ses mots résonnent à mon oreille?

 

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